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JEU VIDÉO - Les concepts philosophiques dans NieR:Automata




ATTENTION : Cet article contient de lourds spoilers sur le jeu NieR:Automata. Je vous conseille de ne pas vous atteler à sa lecture si vous n'avez pas joué au jeu, ou si vous ne voulez pas vous gâcher la surprise de la découverte.

Après avoir attendu deux bonnes années d’être prête mentalement pour toucher au dernier titre de Yoko Taro, me voilà enfin à jour sur son univers en ayant terminé NieR:Automata. Je n’ai évidemment pas été déçue une seule seconde. Au contraire, le titre m’a retourné le cerveau comme son prédécesseur sur PS3. Je n’ai pas pu m’empêcher de me lancer dans des tas de recherches, de lectures sur le Yokoverse (= tout le lore de l’œuvre de Yoko Taro, en passant par les livres, les mangas et les stage plays en plus des jeux vidéo) et surtout sur les concepts philosophiques que le jeu ne cesse de citer, illustrer et expérimenter au fil de sa narration. 

Car oui, NieR:Automata, développé par Platinum Games, édité par Square Enix et sorti en 2017,  s’amuse avec la philosophie et se demande lui-même pourquoi il le fait. Il n’invente pas le monde mais le réinvente de plusieurs manières avec des tas de références et de questionnements notamment existentialistes, nihilistes et métaphysiques. Comment, pourquoi et dans quels buts ce jeu repousse toutes les limites de son médium ? C’est ce que nous allons décortiquer ici.

NOTE IMPORTANTE 1 : Je ne suis absolument pas une spécialiste de la philosophie, même en ayant eu des cours à ce sujet. Cet article est écrit par une joueuse curieuse et passionnée pour les curieux et passionnés, avec beaucoup de vulgarisation. Il est possible qu’il y ait des erreurs et des corrections sur ce que j’avance, même avec toutes les recherches et les connaissances que j’acquiers. Je ne me suis tenu qu’à ce que j’avais besoin de savoir pour étoffer ma pensée. Merci d’en tenir rigueur durant cette lecture !

NOTE IMPORTANTE 2 : Cet article provient de mon interprétation personnelle, en plus de théories et d’articles déjà créés sur le jeu. J’ajouterai toutes les sources précises dont je me suis inspirée en fin d’article. Il est tout à fait possible d’avoir des avis contredisant totalement les propos qui suivront. N’hésitez pas à me les partager dans les commentaires !

Philosoph(i)e en veux-tu en voilà 

Avant même de s’attarder sur le récit du jeu, il est important de noter qu’une pléthore de philosophes sont cités en tant que machines, souvent hostiles. Le bestiaire abrite un Engels ou Marx redoutables, Kierkegaard en Dieu adulé d’une secte, mais aussi Hegel, Grün, Kant, et les philosophes chinois Zhuangzi, Laozhi et Confucius avec leurs appellations japonaises. Si leurs noms sont explicitement utilisés, le jeu ne représente pas leur personne mais leur pensée, leurs travaux, personnifiés. Ils s’intègrent par leurs concepts et la manière de les appliquer, parfois jusqu’à la caricature la plus poussée avec Jean-Paul (Sartre) et Simone (De Beauvoir). Cela n’empêche pas non plus Yoko de citer leurs oeuvres directement : L’ouvrage Pensées du philosophe et mathématicien Blaise Pascal est évoqué lorsqu’Anémone, chef de la Résistance, décide de l’offrir à une machine portant son nom. Ce dernier, juste après cette séquence, est vu dans sa maison en train de lire et de parler de Nietzsche, dont les concepts sont extrêmement présents tout au long du récit.

Une étagère exposant fièrement personages et ennemis du jeu...

Des concepts directement appliqués

(Blaise) Pascal et le pari

Ainsi, Blaise Pascal donne son nom à un personnage, Pascal, déconnecté du réseau des machines les liant toutes entre elles et dirigeant un village de machines pacifistes. Il a pour objectif d’établir la paix sans avoir recours à la violence. C’est pour cela que Pascal ne combattra que lorsqu’il en sera forcé, pour protéger les enfants du village et donc ses convictions, sa pensée qu’il transmet aux générations futures. 


Pascal lui-même fonctionne selon le pari de Pascal. Cet argument consiste à dire qu’en pariant sur l’existence de Dieu, nous gagnons indéfiniment à croire à son existence. Si nous parions sur sa non-existence, personne ne perd véritablement. C’est pour cela que Pascal décide de croire les androïdes et de les suivre dans leurs choix, notamment lorsque 2B est en chemin pour rencontrer la nouvelle tribu de machines s’étant installée dans l’usine désaffectée. 2B lui demande pourquoi il continue de la suivre même en ayant un mauvais pressentiment sur la suite des événements : Il répond simplement qu’il s’y est engagé, et qu’il l’accompagnera jusqu’à la fin. Selon lui, il ne perd rien à croire que tout se passera bien, lui-même exprime sa curiosité à étudier les machines et leur fonctionnement dans tous les cas. Cependant, il perdra indéfiniment lorsqu’il continuera de croire en ses convictions jusqu’au bout puisque les enfants du village se suicideront alors qu’il réussit à les protéger.  La souffrance l’amène à vouloir oublier tout ce qu’il s’est passé ou mourir. Une ironie presque sarcastique s’installe lorsque l’on retrouve un Pascal amnésique après l’attaque de ce qui forgeait toutes ses croyances : il range et vend les cadavres de ses compères dans ce village dont il ne comprend plus le désordre. 

Eros et Thanatos

Dans Nier:Automata, la complexité entre les machines et les androïdes réside sur le peu qu’il reste de l’humanité. Un chiasme apparait entre les deux : les machines sont physiquement loin de l’apparence humaine mais veulent reproduire leurs agissements afin de mieux les détruire, tandis que les androïdes sont physiquement ceux qui leur ressemblent le plus alors qu’ils repoussent tout comportement humain – du moins, ils essaient…

2B et 9S sont l’exception qui confirme la règle. Au sein même du mensonge de leur existence réside un autre mensonge : la véritable mission de 2B. Malgré son attachement pour son binôme, elle détient l’obligation de le tuer dès qu’il commence à comprendre la vérité derrière le projet. 9S est l’androïde le plus intelligent de l’unité YoRHa, et rien ni personne ne peut véritablement l’arrêter, pas même la mort : Tant que la base était toujours active, le concept de mort était peu envisageable pour ces androïdes. Pourtant, en terminant la quête des recherches menées par Psycho, nous apprenons chez les androïdes que tuer leur provoque une sensation de plaisir. Comme l’explique très bien Kyle Campbell dans son article « Death, Sex and Love : A closer look at Nier:Automata », une approche freudienne est possible entre 2B et 9S. Eros et Thanatos s’entremêlent, l’amour et la haine sont des émotions étroitement liées tout comme en conflit entre les personnages, au même titre que le sexe et la mort. 



Lorsqu’Adam tient 9S en otage, il lui demande ceci : « you’re thinking about how much you want to **** 2B, aren’t you ? ». Si, sur le moment, il serait incohérent de penser à « kill » plutôt qu’à « fuck » pour remplacer ces astérisques puisque 9S ne souhaite pas la mort de 2B, le lien entre les deux est encore une fois présent, au même titre que « love » et « hate ». Le paradoxe est atteint lorsque 2B doit à nouveau tuer 9S, en l’étranglant, lorsque le corps de celui-ci est corrompu par le réseau des machines ou inversement lorsque 9S, sombrant dans la haine et la folie, poignarde avec acharnement une réplique de 2B. Leur position est suggestive à raison : Le plus grand plaisir et la plus grande souffrance résident dans la mort. Freud, dans Au-delà du principe de plaisir, disait que « compulsion de répétition et satisfaction pulsionnelles aboutissant directement au plaisir semblent ici se recouper en une intime association » : le plaisir et la pulsion de mort vont de pair. Adam et Eve peuvent aussi être connectés à ce concept ainsi qu’à l’évolution de 9S : Adam ne souhaite que connaître le mieux possible le fonctionnement des humains, se délectant de sa propre mort, alors qu’Eve voit son amour pour son frère sombrer dans la colère et la haine la plus noire. 



Si 9S est inarrêtable, la seule personne capable de le stopper n’est autre que lui-même. Amour et haine ne font plus qu’un et, dans son élan de folie, il finit par trouver un sens à son existence qui n’était qu’un mensonge jusque-là : tuer les machines et A2 pour venger 2B. 

L’existentialisme et la philosophie de Nietzsche 

Le jeu ne cesse donc pas de revenir sur ces points par sa manière de penser et de réfléchir sur les événements. Les androïdes et les machines se questionnent sur leur existence et sur ce qu’il pourra bien se passer lorsque la guerre se terminera. Leur existence est un point culminant de la narration. Dès les premières heures de jeu, lorsque nous aidons les résistants durant les premières quêtes, ces androïdes se demandent déjà ce qu’il se passera et adviendra d’eux-mêmes. C’est le cas d’un des vendeurs de matériaux et pièces en tout genre avec une jambe dysfonctionnelle. Ce dernier refuse de se réparer par crainte du dénouement. 

Ce sont des remises en question de l’existence, de l’humanité et de leur objectif qu’on pose directement sur la table. Selon Sartre, « l’existence précède l’essence » : or, l’existence des YoRHa était dès le départ destinée à ne pas exister. Le projet YoRHa, visant à protéger l’humanité, a vu le jour dans le seul but de mentir à toute une population en créant la fausse idée que les humains ont survécu et vivent sur la lune. Or, ils sont morts depuis des milliers d’années. Une fois cela mis à bien, les androïdes de ce nouveau modèle sont tués pour sceller le mensonge. Leur existence se résume à du vent. 

Dans Nier:Automata, croire et exister, c’est se condamner. C’est là que le nihilisme entre en jeu : tout est voué à être détruit. Nous condamnons 2B et 9S dès les premiers instants. C’est pour cela qu’Engels et Marx sont les premières machines que nous sommes amenées à tuer : le marxisme est une forme de nihilisme.



Le jeu nous fait vivre ce voyage au sein de toute cette remise en question de l’être, d’une souffrance d’une existence noyée dans le mensonge. Un cycle est voué à se reproduire, et ce même depuis Drakengard 1 : le thème du virus, d’abord implémenté dans la Fleur comme nous l’apprenons dans la préquelle Drakengard 3, est récurrent dans le Yokoverse. Quoiqu’il advienne, l’espèce finit par s’éteindre avec les mêmes erreurs, et une autre reprend le dessus avec la dernière source d’espoir de la précédente. Le concept d’Eternel retour est applicable, à la fois dans sa pensée antique et nietzschéenne : Le monde est voué à se répéter, à chaque fois de la même manière. Nietzsche se demande donc si, en choisissant d’agir tel que l’on le souhaite, nous serions heureux en reproduisant ce choix indéfiniment.

Satire, ou plutôt hommage ?



Est-ce que toutes ces allusions, anecdotiques comme cruciales, sont là pour critiquer ou saluer la philosophie ? Yoko Taro a pour habitude de ne pas apporter de conclusion positives ou porteuses d’espoir dans ses travaux. Pourtant, Nier:Automata pourrait déroger à cette règle et y amener une touche de métagame encore plus importante que dans ses anciennes œuvres. Deux théories s’offrent à nous : 

  • Les noms des philosophes dans le bestiaire sont là pour illustrer l’application d’un concept et comment celui-ci peut échapper à tout contrôle ou toute pensée première. Ces boss sont au final détruits, l’équivalent de la fin d’une idée, d’une pensée amenée à l’échec pour ensuite passer à un nouveau mode de réflexion. C’est une vision plus générale de montrer un cycle et cette notion principale d’Eternel retour. Le jeu entier est voué à répéter les mêmes erreurs que les humains, les mêmes échecs, la même défaite. Les concepts n’échappent pas à cette règle, emportant les protagonistes avec eux. Un exemple plus concret réside dans l’ironie entre le combat d’A2 et 9S contre Ko-Shi et Ro-Shi, eux-mêmes étant des références au taoïsme et confucianisme, philosophies basées sur la famille, la recherche de la sagesse, la vie avec autrui. Alors qu’ils viennent de se retrouver après avoir combattu seuls dans l’impossibilité de s’entendre durant toute la seconde partie du jeu, A2 et 9S forment une binarité et un duo à ce moment-ci – Autant dans le gameplay que dans le design du boss étant clairement inspiré du yin et yang. Nous passons toute cette phase de jeu à changer de point de vue entre A2 et 9S, de plus en plus frénétiquement. L’ironie totale se joue ici puisqu’ils s’entretuent juste après et baignent dans une mare de sang dans la fin D. Ces références et cette mise en puissance de concepts auraient pour but que de ne mieux servir le nihilisme et la cruauté que le dénouement des événements nous sert.


  • A contrario, ma deuxième théorie s’appuie sur le fait que, justement, les pensées et les applications de ces philosophes sont un hommage, une catharsis pouvant apporter la paix que les personnages obtiendront grâce à la fin E du titre. Même s’il est possible, tels que le disent pod 046 et 153, que les mêmes accidents peuvent se reproduire, il n’est également pas impossible que les possibilités d’un autre avenir se déroulent. C’est pour cela que les joueurs et les pods décident de contrer toute la pensée que le jeu exprime de but en blanc. 

Là entre en scène le paroxysme de tout ce qui est observé et expérimenté : l’implication du joueur dans toutes ces formes de pensées, au-delà de toute philosophie. Cette souffrance, ce plaisir mêlé à la haine et la folie… Nous, joueurs, le découvrons et le vivons. Tout est volontaire : jusqu’à combattre les crédits de fin et atteindre l’ultime sacrifice, nous sommes (in)directement invités à ressentir comme les personnages que nous avons incarnés et suivis tout au long de l’aventure. Nous avons tué, aimé, voyagé, détruit, construit, acquis pour tout sacrifier. Comme YoRHa, comme 9S, 2B, A2, Pascal, le réseau… En tant que joueur, nous sommes directement impliqués afin de se questionner nous aussi et en arriver à un choix qui n’appartient qu’à nous seul. Le jeu nous explique et met en action le cycle de la vie : la souffrance d’aimer, de perdre, de reproduire les mêmes erreurs… C’est inévitable. Cela fait partie intégrante de ce que nous constituons. Comme l’exprime pod 046, « certaines questions n’ont pas toujours une réponse ». Ainsi, nous pouvons accepter de sauver un joueur inconnu, ailleurs dans le monde, en échange de nos données de sauvegarde, ou garder ce que nous avons accompli. Dans tous les cas, la suite de la vie des androïdes se fera sans nous. Il ne nous reste plus qu’à partir avec ce choix en conclusion. Le jeu ne porte aucun jugement : il s’agit simplement d’exister.

Pour conclure...

La philosophe se joue dans tous les fronts dans Nier:Automata : elle s’illustre dans le bestiaire, les personnages, machines comme androïdes, le récit ou le dénouement pour se questionner sur l’être jusqu’au matricule de 2B (to be). De ce fait, tout cela nous amène à ressentir des véritables émotions, des valeurs, des sentiments qui nous conduisent à développer notre propre conscience, notre propre interprétation de tout ce vécu par le prisme du jeu vidéo. 

Everything that lives is designed to end. They are perpetually trapped in a never-ending spiral of life and death. However...life is all about the struggle within this cycle. That is what "we" believe.
—Pod 153. 



J'espère que mon interprétation du jeu vous aura plu ! N'hésitez pas à donner vos avis dans les commantaires ! ♥

SOURCES : 


- Melia

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